Conjoncture et perspectives pour nos entreprises

Nicolas Bouzou : « La capacité d’improvisation, une qualité face à l’inconnu »

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Nicolas BOUZOU, économiste

Quelle qu’en soit l’issue, la guerre en Ukraine affecte déjà notre économie, transformant nos modes de fonctionnement et accélérant les changements amorcés. Quels impacts pour les entreprises européennes ? Comment s’adapter à ce nouveau choc, à peine sorties de la crise du Covid ? En clôture des 16e Rendez-vous du Management, l’économiste Nicolas Bouzou livre son analyse. Morceaux choisis.

Une entrée dans l’économie de la pénurie

« En déjouant tous les pronostics, le virus du Covid-19 nous a rappelé combien la prospective demande de l’humilité ! Il y a un an et demi, tous les analystes prédisaient qu’en sortie de crise les pays connaîtraient une période de déflation, avec des effets néfastes sur l’économie. Ce qui a conduit nombre d’États à engager de vastes plans de relance économique comme « France Relance » – 100 Md€ sur 2 ans – dans l’Hexagone. Ces choix ont porté leurs fruits puisqu’en dépit de la virulence de la crise, les faillites d’entreprises et le chômage sont restés limités. Seulement, ils ont fortement tiré la demande vers le haut tandis que, dans le même temps, l’offre était contrainte. Nous sommes ainsi entrés dans une économie de pénurie, que peu avaient vu venir… « 

Contraintes sur l’offre : une impulsion finalement bénéfique ?

« Si nous sommes sortis de la phase aigue de la pandémie, nous restons dans un contexte d’offre contrainte en raison de l’invasion de l’Ukraine et de la poursuite de la politique « Zéro Covid » dans certains pays d’Asie, notamment en Chine. Impactant fortement les activités manufacturières et chaînes d’approvisionnement à l’échelle mondiale. Ces deux chocs se traduisent par nombre de pénuries (semi-conducteurs, denrées alimentaires, gaz, etc.), qui constituent aussi une opportunité de penser les transitions. Comment accélérer la décarbonation de notre économie ? Face à la pénurie de main-d’œuvre, quelles voies pour préserver le capital humain ?, etc. »

Si nous investissons suffisamment, nous sortirons de cette crise avec des entreprises et des secteurs plus modernes, plus productifs !

nicolas bouzou, économiste

Travailler, produire et investir davantage

« Contraignant la croissance économique, le manque de facteurs de production et l’augmentation continue de l’inflation conduisent à un phénomène de stagflation. Ce contexte, que nous n’avions pas connu depuis les chocs pétroliers des années 70, doit inciter les entreprises à requestionner et adapter leur stratégie. Dans cette économie de contrainte de l’offre, marquée par la difficulté à trouver des ressources, il s’agit notamment de mobiliser leur énergie sur le recrutement. Investir, produire et travailler plus constituent également des portes de sortie à la stagflation. Face à une demande supérieure à l’offre, le rééquilibrage de la situation ne peut ainsi se faire par une relance de la demande. Sinon, vous accentuez le manque… « 

Une intégration accélérée de l’innovation

« Lorsque le coût du travail augmente alors que celui du capital baisse, il se produit en économie ce qu’on appelle une substitution du capital au travail. Avec une utilisation accrue des machines tel qu’on l’observe actuellement, y compris dans des métiers connus jusqu’alors pour un certain conservatisme. Pour pallier le manque de comptables, la profession d’expert-comptable investit par exemple de plus en plus dans des algorithmes de machine learning. Si elles se font par la force des choses, ces évolutions contribuent à accélérer l’incorporation des innovations et du progrès technique dans nos économies. Ainsi, si nous investissons suffisamment, nous sortirons de cette crise avec des secteurs plus performants qu’avant. »

L’art d’improviser face à une crise sans précédent

 » Je me demande si, dans ce contexte totalement nouveau, la plus grande qualité aujourd’hui des dirigeants n’est finalement pas l’improvisation. Il y a quelques années, j’avais été fasciné par une autobiographie de Miles Davis, explorant cette part d’inventivité spontanée dans son œuvre et montrant combien elle exigeait, en réalité, une haute technicité. C’est ce qu’ont vécu les dirigeants lors de cette crise sans précédent. Au début de la pandémie, nous nous sommes vite heurtés au fait qu’il n’y avait pas de « mode d’emploi », pas de précédents historiques sur lesquels fonder notre analyse… Et pourtant, face à l’incertitude, les entreprises ont démontré une capacité d’improvisation et d’adaptation absolument remarquable ! »