Empreinte

Alexandre LETENNEUR, Directeur Général Quaternaire

Pour surmonter les crises jusqu’alors, les entreprises pouvaient puiser des enseignements du passé. Mais cette période, durant laquelle nous avons subi successivement une crise sanitaire extrêmement grave, des mesures strictes de confinement puis, une guerre sur le sol européen, est inédite.

Sans précédent donc, notre présent se caractérise d’abord par un degré élevé d’incertitude. Avec des indicateurs économiques des plus fluctuants. Après un recul de 8 % en 2020, le PIB français a augmenté de 7 % en 2021 selon les chiffres de l’Insee. Sur 2022, sa croissance devrait se situer autour des… 2 %. Si cette incertitude est source de crises pour certains, elle crée aussi un gisement d’opportunités, pour ceux qui savent se saisir des évolutions des modes de consommation.

 

Une tension sur toutes les ressources

Outre l’incertitude et les opportunités nouvelles qui s’en dégagent, cette période connaît l’émergence d’une économie de la pénurie. A peine sorties du Covid-19, les entreprises voient leur activité impactée par la flambée des prix des matières premières, conjuguée à des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement. En septembre 2021, au Japon, Honda a ainsi attribué la baisse de 60 % de sa production à la pénurie des semi-conducteurs.

Une tension sur les matières premières mais aussi sur les hommes. Le manque de main-d’œuvre n’épargne plus aucun secteur, ni aucun pays. En Allemagne, c’est un tiers des entreprises qui signalent une pénurie de travailleurs qualifiés tandis que le Royaume-Uni comptabilisait 1,1 million de postes non pourvus entre juillet et septembre 2021. Sur ce marché de l’emploi des plus tendus, le pouvoir a changé de camp. Avec des candidats, aujourd’hui, en position de force.

Ce déficit de ressources humaines interroge, de même, dans l’Hexagone. Alors que le nombre d’offres d’emploi a augmenté de + 56 % du T1 2021 au T1 2022, et ce dans un contexte de faible croissance cumulée, une question est dans toutes les têtes :

MAIS OÙ SONT LES COLLABORATEURS ??

Un nouveau rapport au travail et au monde 

Au-delà des difficultés actuelles de recrutement, la pénurie de capital humain révèle d’abord une évolution structurelle du rapport au travail et, plus globalement, du rapport au monde : 

  • Comment faire évoluer ma carrière professionnelle pour lui donner plus de sens ? Comment replacer mon travail dans un meilleur équilibre vie pro/ vie perso ?… font partie des questions, que se posent les collaborateurs et qui les poussent de plus en plus à bifurquer. Plus seulement en concurrence avec d’autres pour recruter, les entreprises doivent rivaliser désormais avec toute autre forme de vie professionnelle projetée par le collaborateur. A commencer par la micro-entreprise, dont le nombre est en hausse constante chaque année en France.
  • Au sein de l’entreprise, le « moi » reprend sa place aujourd’hui devant le « nous ». Donner LIBRE cours à ses convictions devient clé… Avoir un IMPACT positif sur le monde, sur ses proches et sur soi-même est une priorité… Ainsi, alors que le collaborateur cherchait hier à servir au mieux l’entreprise, il se demande dorénavant comment celle-ci peut satisfaire son besoin d’autonomie, comment elle peut servir son désir d’ascension rapide ou encore comment elle répond à ses valeurs profondes.
  • La pénurie a fait prendre conscience de la rareté de la ressource. Résultat : nous commençons ENFIN à transformer nos modes de consommation, que ce soit au niveau de la qualité, de la quantité, de ce qu’on ne consomme plus, etc. Et le législateur entre à son tour dans la boucle. En témoigne l’accord obtenu récemment au Parlement européen sur un câble de recharge commun pour les appareils électroniques, permettant de réduire les déchets et d’économiser les ressources. Symboliques mais significatives, ces évolutions législatives sont amenées à s’accélérer, se démultiplier…

Ainsi, la relation à l’entreprise change, la relation aux marques change, la relation entre les individus change…

Quelles orientations pour l’avenir ?

Au regard de ces constats, une certitude : l’entreprise se trouve aujourd’hui à un tournant clé, qu’elle ne pourra négocier qu’en faisant évoluer son rôle, son comportement, ses missions auprès de ses collaborateurs. Autant de changements, et d’orientations nouvelles, qui lui demandent de relever 3 défis : 

DÉFI N° 1 : DESSINER L’EMPREINTE DE L’ENTREPRISE 

L’empreinte pose la question de la raison d’être autrement dit de l’impact qu’a l’entreprise sur le reste du monde. On attend ainsi qu’elle ait identifié sa contribution au bien commun. Professeure et chercheuse américaine, Lisa Earle McLeod a défini ce qu’était une « noble raison d’être ». Selon elle, toute entreprise a un impératif de profit mais ce profit est le résultat d’une stratégie fructueuse ancrée dans la raison d’être. Les « entreprises chéries », comme elle les nomme, ont une raison d’être si puissante qu’elles performent et génèrent une croissance extraordinaire.

Imaginer l’empreinte, ce n’est donc pas forcément renoncer au business mais plutôt le servir, en adoptant une stratégie fructueuse…

DÉFI N° 2 : METTRE LES PETITS PAS DANS LES GRANDS

Ou comment intégrer le MOI et sa double composante, le MOI pro (comment je suis utile dans mon job ? Comment je laisse mon empreinte dans l’entreprise au quotidien ?…) et le MOI perso (quelle est mon utilité hors de ma vie professionnelle ?).

Le Sens (S), le fameux SENS pour l’individu ne se résume pas à la seule raison d’être de l’entreprise ; il résulte du produit de l’utilité perçue de l’entreprise (U), et de sa propre utilité dans l’entreprise (u), Soit S = U x u.

Le Sens (S) résulte du produit de l’utilité perçue de l’entreprise (U), et de sa propre utilité dans l’entreprise (u), Soit S = U x u

Alexandre Letenneur, Directeur général Quaternaire

Pour maximiser ce produit, plusieurs dimensions sont à travailler :

  • D’abord accorder la liberté de l’utilité ; elle résulte avant tout d’une perception personnelle, même si celle-ci peut être éclairée par le management
  • Ne pas partir exclusivement du besoin de l’entreprise mais écouter les envies, mêmes les plus folles…avant que le collaborateur ne les envisage à l’extérieur. Bref, il s’agit de comprendre les motivations qui poussent un collaborateur à changer de projet, et de chercher une convergence heureuse
  • Re-promouvoir les forces du collectif qu’offre l’entreprise, en démontrant en quoi travailler ensemble génère de la créativité, du plaisir, de l’épanouissement, de l’innovation… 

Le temps d’une individualisation plus forte est arrivé, sans pour autant risquer le chaos induit par le tout horizontal. Cette capacité à atteindre l’équilibre entre globalisation et individualisation ne serait-il pas d’ailleurs proche de la définition du leadership ?…

DÉFI N° 3 : GARDER UN PIED DANS LE TERRAIN

Empreinte, raison d’être, projet d’entreprise… Oui ! mais s’il est primordial de prendre du recul, de se construire une vision d’avenir, cette réflexion stratégique ne doit pas éclipser l’importance du court terme, et notamment du vécu de chacun dans son quotidien, là où on retrouve les fameux « irritants » 

Travailler sur les conditions d’exercice quotidiennes, les conditions d’obtention de la performance, les conditions de l’utilité… est ainsi primordial. Entendre les attentes et questionnements de ses collaborateurs, tout autant. Reconnaît-on ma contribution ? M’apporte-t-on les compétences nécessaires pour bien travailler ? Me donne-t-on les moyens d’être utile ?…  

Le projet d’entreprise, un management fort à tous les niveaux et le leadership d’un Comité de direction équilibré seront des ingrédients indispensables pour relever ces 3 défis.