Construire l’entreprise de demain dans la réalité du quotidien

Christine Muscat, Directrice Générale Knauf France

Christine MUSCAT
Directrice Générale
Knauf France

Nicolas Tavernier, Directeur Général Crédit Agricole Sud Méditerranée

Nicolas TAVERNIER
Directeur Général
Crédit Agricole Sud Méditerranée

Sébastien Bohler, Spécialiste en neurosciences et psychologie

Sébastien BOHLER
Spécialiste en neurosciences et psychologie

Clément Lesort, Journaliste

Table ronde animée par Clément LESORT
Journaliste

Les récentes crises en témoignent : l’entreprise qui réussit se projette loin et embarque ses équipes vers un cap à atteindre. Ce défi est d’autant plus audacieux qu’elle fait face, sur le court terme, à des exigences de performance tout aussi fortes. Comment donc s’extraire du quotidien pour bâtir une vision d’avenir ? Comment transmettre cette vision, dès le CODIR, pour stimuler l’initiative jusque sur le terrain ?… Ce sont quelques-unes des questions, dont se sont saisis les 3 experts intervenant aux 16e Rendez-vous du Management.

Un sommet à atteindre

Pour les dirigeants, il s’agit de négocier au mieux ce point de bascule. Avec la nécessité pour eux d’engager une véritable quête, visant à pérenniser leur entreprise tout en continuant, dans le même temps, à satisfaire les exigences de la réalité quotidienne. Face à ce double défi, chaque entreprise cherche à écrire un nouveau récit collectif autour d’un horizon partagé. C’est le cas de l’industriel Knauf qui se projette très loin. Très haut. « Dès 2019, avec les membres du CODIR, nous nous sommes employés à définir un projet d’ampleur pour l’avenir que nous avons nommé « Le Rêve de l’entreprise », relate Christine Muscat, la Directrice générale de Knauf France. Ce Rêve que l’ensemble des collaborateurs partage désormais, c’est comme gravir l’Everest pour y planter au sommet le drapeau Knauf ! Il est essentiel de savoir tous où nous allons, puis d’être solides collectivement sur la destination en se fixant des étapes. Il s’agit donc de définir les différents camps de base par lesquels passer avant d’arriver à l’Everest. « 

Il est essentiel de savoir tous où nous allons, puis d’être solides collectivement sur la destination en se fixant des étapes

Christine Muscat, Directrice générale, Knauf France

L’utilité, seule raison d’être des entreprises

Ce cap lointain vers lequel diriger l’entreprise, le Crédit Agricole Sud Méditerranée l’a également identifié. « A mon arrivée fin 2020, nous devions bâtir pour notre Banque un nouveau projet stratégique articulant le temps court du quotidien et ce temps long indispensable pour se projeter, explique Nicolas Tavernier, son Directeur général. Nous avons d’abord défini une vision d’avenir à horizon 2030 en travaillant sur la notion centrale d’utilité, dit-il. La raison d’être de toute entreprise consiste à participer au progrès de la société, et quand elle n’y contribue pas, elle disparaît ! »  

Co-construite au sein du Crédit Agricole Sud Méditerranée, cette réflexion stratégique sur le long terme permet alors d’éclairer tout le sens de son engagement, visant l’accompagnement des enjeux du futur (décarbonation de l’économie, renforcement de la cohésion sociale, évolutions digitales, transitions agricole et agro-alimentaire…). 

La raison d’être de toute entreprise consiste à participer au progrès de la société, et quand elle n’y contribue pas elle disparaît !

Nicolas Tavernier, Directeur général, Crédit Agricole Sud Méditerranée

Aussi soudés qu’agiles… à l’image de Shiva

Dès qu’il existe un objectif commun, même lointain, et des moyens donnés à chaque membre d’un groupe de pouvoir y participer, l’angoisse sociale baisse sensiblement. Telles sont les conclusions partagées par Sébastien Bohler. « Pour trouver du sens, le cerveau a besoin à la fois de cohérence entre ses valeurs et ses actions, de saisir le fonctionnement du monde autour et de comprendre comment ses semblables vont se comporter, dit-il. Pour les homo sapiens, être capable de survivre, c’est être capable de créer un groupe qui va coordonner ses actions pour chasser, capturer… » 

Une vision inspirante, éclairant les choix stratégiques des entreprises. Si elle a défini d’abord son « Rêve » pour l’avenir, Knauf France travaille depuis à synchroniser l’ensemble des hommes et des femmes de l’entreprise autour de ce futur cap. « Ayant grandi par croissance externe, Knauf France s’appuie aujourd’hui sur une organisation décentralisée comptant 14 business units dans l’Hexagone. Tout l’enjeu est de parvenir à nous aligner autour d’une même dynamique d’amélioration continue tout en confortant la culture de l’autonomie sur chaque site », explique sa dirigeante, en établissant un parallèle avec Shiva.  

A l’image de la divinité hindoue, Knauf France est unie autour d’1 seul corps – son projet d’entreprise et ses valeurs partagées – auquel sont rattachés 14 bras, qui contribuent à l’histoire commune tout en possédant chacun son agilité et sa proximité humaine. Pour Christine Muscat, il s’agit toutefois d’être vigilant à ce que cette autonomie, représentée par chacun des bras de Shiva, ne soit pas l’indépendance. « Un bras qui se désolidarise, c’est un bras qui sort de l’histoire collective », observe-t-elle.   

De la solidarité 

Au sein du Crédit Agricole Sud Méditerranée, cette quête d’une meilleure coordination fait aussi partie des priorités. Notamment au vu des premiers diagnostics réalisés dans le cadre de la transformation lancée l’an passé. Si la Banque coopérative a pu aisément éclairer les défis à horizon 2030, le constat diffère sur le court terme. Avec une période post-covid, marquée notamment par de l’absentéisme, parfois un manque de communication et un desserrement du lien collectif. « Dans l’adversité, nous avons manqué de solidarité au sens littéral du terme c’est-à-dire de cette logique de responsabilité individuelle au service du collectif, analyse Nicolas Tavernier. A ce sujet, il ne faudrait surtout pas sous-estimer l’impact du télétravail face auquel le collectif n’a pas encore totalement appris à s’organiser. »

Simplifier le quotidien des managers 

C’est à recréer cette culture solidaire, amenant chacun à agir pour le dessein commun, que le Crédit Agricole Sud Méditerranée travaille aujourd’hui. D’ici 2030, la Banque a ainsi planifié 3 plans intermédiaires d’une durée de 3 ans chacun. Et engagé d’ores et déjà plus de 40 projets de transformation sur une seule année. Parmi ces nombreuses actions, il s’agit notamment de décliner les objectifs et les indicateurs de pilotage stratégiques à l’ensemble des entités.  

Outre l’apport de méthodologies, d’outils et de formations, le projet prévoit aussi un meilleur accompagnement des managers intermédiaires dans l’organisation de leur travail. « Le métier s’est enrichi de complexité d’où l’importance, pour y faire face, de redonner des repères organisationnels et humains », commente Nicolas Tavernier, relayé par Christine Muscat. « Dans des entreprises familiales comme les nôtres, qui favorisent la promotion interne, il est possible de devenir manager sans avoir été ni accompagné ni outillé pour exercer efficacement cette mission !, observe-t-elle aussi. Or le manager intermédiaire constitue la courroie de transmission sur laquelle capitaliser, si on veut gagner en clarté dans les messages, donner du sens partagé par tous… »  

Le cerveau a besoin systématiquement d’indices intermédiaires, de petites récompenses, qui lui prouvent qu’il est dans la bonne direction…

Sébastien Bohler, journaliste et écrivan spécialisé dans les neurosciences

Autant de jalons indispensables à poser. « Pour poursuivre un objectif à long terme, le cerveau a besoin systématiquement d’indices intermédiaires, de petites récompenses, qui lui prouvent qu’il est dans la bonne direction. Quand les repères changent, il accepte lui aussi de changer de système seulement s’il voit que le nouveau donne des résultats », conclut Sébastien Bohler.